Sans-papiers en lutte, de la Seni à Bastille

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En janvier dernier, la Seni, entreprise de nettoyage, fait parler d’elle : des dizaines d’inspecteurs débarquent, interrogent le personnel et repartent avec les dirigeants qu’ils retiendront plus de 30 heures. 10 à 20% de leurs employés seraient sans-papiers. Plus de 200 sans-papiers de la Seni ont occupé leur entreprise au printemps 2008 pour demander leur régularisation. En octobre 2009, ils se mettent de nouveau en grève, dans le cadre du mouvement lancé par la CGT. Des dossiers sont déposés les deux fois, mais les préfectures exigent des Cerfa (document qui certifie l’embauche) ; la direction de la Seni a finalement préféré délivrer des licenciements. Les sans-papiers ont alors réinstallé un piquet de grève en face de l’entreprise et y sont depuis le 31 mai.

Les patrons de la Seni déplorent qu’on ait tant parlé d’eux, comme s’il n’y avait que nous... D’ailleurs, ils expliquent être tombés des nues après avoir découvert que leurs employés les avaient trompés en faisant de l’usurpation d’identité. Ils s’interrogent : Quel intérêt avons-nous à garder ces sans-papiers, à les aider à se faire régulariser ? On a voulu être réglo avec eux, on a fait notre BA. Résultat : on est les dindons de la farce ! ; et de conclure : Quand on est dans la merde, on est tout seul. On aurait presque pitié... Heureusement, les trois quarts de ces affaires se terminent par un classement sans suite ou s’égarent dans les méandres des palais de justice, selon un inspecteur du travail. Et comme le dit un membre de la Fédération nationale de la propreté (affiliée au Medef) : Ce n’est pas parce qu’ils ont fait de la garde à vue qu’ils sont forcément coupables et Peut-être ont-ils été abusés, comme on l’a tous été un jour ou l’autre ?

Peut-être... mais voilà des explications qui ressemblent à des aveux. Du côté des grévistes, on raconte une autre histoire : 70 heures payées 35, manipulation de produits chimiques sans protection, lettres de démission présentées à signer, à des gens ne sachant pas lire, en prétendant qu’il s’agit d’une augmentation de salaire, insultes... : des conditions de travail et des saloperies patronales comme on en décrit sur tous les piquets de sans-papiers.

Venus de ces différents piquets de grève, parfois peu visibles, des centaines de sans-papiers se sont rassemblés devant l’opéra Bastille à Paris, où ils campent depuis plus de deux semaines sous des bâches. Ils n’ont pas pu rester sur les marches de l’opéra : depuis leur évacuation, elles sont sous surveillance policière 24 heures sur 24.

La presse en a parlé, mais le sujet d’intérêt principal pour les journalistes n’est pas vraiment les sans-papiers : si, à la Seni, ils se sont intéressés surtout aux déboires des patrons, à la Bastille, c’est le passage de quelques personnalités qui a retenu leur attention, outre cette évacuation musclée. Pourtant, les passants de la Bastille qui s’arrêtent pour se renseigner sont horrifiés de ce qu’ils apprennent, et parfois en ont les larmes aux yeux. Les yeux des journalistes se tournent plus volontiers vers les soutiens des sans-papiers.

De ce côté, impossible de se tromper : les nombreux drapeaux CGT se voient de loin. Ils veulent obtenir une nouvelle circulaire gouvernementale précisant aux préfets des critères de régularisation élargis et leur application non arbitraire ; mais des critères, même élargis et appliqués à tous, laisseront toujours de côté ceux hors critères (les plus nombreux) comme ceux sans travail ; et les sans-papiers veulent la régularisation pour tous.

Un accord a même été signé avec le patronat, qui défend lui aussi une immigration choisie. Les patrons embaucheraient des sans-papiers parce qu’ils ne trouvent pas de main d’oeuvre avec-papiers. Les sans-papiers sont toutefois prêts à continuer leur travail après obtention de leurs papiers, et leurs patrons sont censés entreprendre des démarches dans ce sens ; mais, évidemment, avec une régularisation, les sans-papiers n’accepteraient plus les mêmes conditions de travail...

Après des mois de grève (jusqu’à 18), ils perdent l’espoir en ces demandes de bonne volonté négociées avec les autorités, le retrouvant dans la lutte. On n’a plus rien à perdre, on ira jusqu’au bout, entend-on sous toutes les tentes. C’est que un papier, c’est ton corps : le droit reconnu de vivre ici, la possibilité de concrétiser les projets qu’on se raconte autour du thé, ne plus vivre dans la crainte et la soumission permanentes : avoir des papiers pour ne plus être sans-papiers.

Quelle que soit l’issue des négociations menées dans les ministères, il y aura encore beaucoup de sans-papiers, donc il y aura encore beaucoup de luttes, pour l’égalité et la liberté, mais aussi pour l’autonomie de ces luttes du sous-prolétariat contemporain.

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