Thierry de Lavau nous a quittés

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Thierry de Lavau, anarchiste, animateur sur Radio libertaire (1982 – 2021), créateur du label V.I.S.A., organisateur d’expos, concerts…

La cérémonie pour Thierry se tiendra le vendredi 9 février à 11h30 au Crématorium du Père Lachaise.

Thierry de Lavau (5 novembre 1954 – 26 janvier 2024) in memoriam

— Je déteste le pouvoir, je déteste autant obéir que commander !
— Tu es une anarchiste qui s’ignore !
— Moi ? Mais je ne brûle pas les voitures !
— Moi non plus !
— Mais tu n’es pas anarchiste ?
— Bien sûr que si, pourquoi Armand Gatti, Pierre Clastres, Élysée Reclus, que tu apprécies tant et qui n’ont pas brûlé des voitures, seraient anarchistes, mais pas des gens lambda comme toi et moi ?
— Bah…
— Je suis même à Radio Libertaire depuis sa première année d’existence.
— Euh…
— Tu connais l’émission Traffic, chaque mercredi soir à 22h30 ?

Eh non, je ne connaissais même pas Radio Libertaire. Ni la F.A. bien entendu !

Il me raconta sa vie militante et radiophonique lors de nombreux déjeuners dans les petits restos du côté de Marx Dormoy. Nous nous découvrîmes des accointances en matière de musique, africaine et jazz expérimental tout particulièrement. Thierry entreprit de combler mon retard musical rock, car, sur ce point, je m’étais arrêtée à Led Zeppelin.
C’est avec lui que j’osai pousser la porte de Publico pour la première fois.

— C’est plein de drapeaux, même noirs je déteste tout les drapeaux et les nationalismes quels qu’ils soient !
— Ils ne vont pas te manger, tu t’intéresses à la Commune de Paris, tu y trouveras ton compte !

En effet, il avait raison.
C’est beaucoup plus tard que j’osai me lancer dans la radio. Grâce à l’assurance qu’il m’avait donnée.

Quand nous avons fait connaissance, Thierry était directeur de la Régie de Quartier et moi plongée sans crier gare dans R.E.S.F. Les élèves chinois que je suivais en Réseau d’Aide pour leur apprendre le français étaient presque tous nés à Paris mais avaient des parents que l’école ignorait, « sans papiers ». Au printemps, un parent en France depuis dix ans fut arrêté en catimini près de l’école et mis en garde à vue dans un lieu inconnu. Sa fille disparut de l’école même après avoir cherché en vain sa trace dans le quartier. Un inconnu déboula dans le bureau du directeur d’école pour expliquer la situation des Chinois du quartier. Il essayait de leur apprendre le français sans aucun local. Je lui mis à disposition ma classe le mercredi avec le soutien de l’inspectrice locale de l’Éducation nationale. Mais les parents, qui travaillaient dur, étaient surtout disponibles le soir et le dimanche. Il fallait un local supplémentaire à l’école.
J’emmenais souvent des groupes d’enfants entre 4 et 7 ans à la ludothèque du pôle associatif pour leur apprendre le français en jouant. J’expliquai la situation à la responsable de la ludothèque.

— Va voir Thierry à l’étage au‐dessus, il résoudra ton problème en un quart d’heure.

Confiant les enfants à la ludothécaire et aux deux stagiaires, je grimpai les marches en vitesse.
J’avais croisé Thierry plusieurs fois bonjour‐bonsoir. Sa réputation d’efficacité sans faille alliée à un grand humanisme se révéla exacte. Quinze minutes plus tard, le problème était résolu. Le dimanche qui suivit, l’interprète eut les clefs de la salle informatique et du local d’apprentissage. L’école lança une pétition des parents. Les élèves organisèrent une pétition des enfants sous l’impulsion d’une enfant noire pour sa copine chinoise. Le quartier se mobilisa. À l’époque, menacer la police d’un lâcher d’enfants de la maternelle dans un commissariat assurait la libération fissa d’un parent arrêté ! Le père d’élève fut libéré, sa fille revenue à l’école, mais son dossier lourd d’une grosse pile de papiers fut refusé par la préfecture et il resta « sans papiers ». .
Avec l’appui de la Mission locale et de Thierry, pour remplir les paperasseries en bonne et due forme, l’interprète eut une première fiche de paye en novembre. Je fis un planteur pour arroser l’événement en précisant que s’il y avait eu un Antillais dans le groupe je ne m’y serais pas risquée.
Nouvelle découverte concernant Thierry quand il me répondit :
— Ton breuvage est très bon et je m’y connais : ça ne se voit pas mais je suis à demi antillais !

Avec R.E.S.F., nous n’avons pas eu que des échecs. Je me souviens d’une enfant d’Afrique de l’Ouest métamorphosée quand sa mère fut régularisée. Elle s’épanouit, devint « élève » et entra dans les apprentissages. Ce que l’inspectrice avait compris, d’où son soutien.
Thierry et l’interprète coorganisèrent des fêtes au Grand Parquet et au pôle associatif. Quels bons souvenirs ! Cependant, épuisée, je finis par changer d’école pour un endroit moins lourd.
Voilà la naissance d’une amitié et un pan de la vie professionnelle de Thierry qui n’est pas dans le Maitron.

Alors qu’il semblait se remettre de sa « longue maladie », l’infection nosocomiale l’a frappé sans crier gare.
L’interprète, toujours en activité, lui a rendu un dernier hommage ému dans la chambre funéraire.
La somme des petites actions font, aussi et d’abord, les grands humains. Merci à toi Thierry.
Une pensée pour sa famille et ses amis, pour Agnès, sa complice de radio.

Florence,
Des cailloux dans l’engrenage sur Radio Libertaire
émission en hommage musical à Thierry le 31 janvier 2024

À propos de l’émission Traffic

(arrêtée en septembre 2021)

Dans Traffic, il n’y a que des trafiquants notoires et des alchimistes clandestins. Avant d’être des animateurs, Agnès et Thierry, les acharnés du mercredi 22h30, sont avant tout des passeurs d’émotions, des arrangeurs de rencontres improbables, des ficeleurs de paquets cadeaux. Support privilégié, la musique garde une grande place dans la programmation de Traffic. Partant de la remarque de Philippe Carles & Jean‐Louis Comolli (in Free jazz / Black power, éd. Folio) qu’aucune musique n’est socialement inactive, idéologiquement insignifiante, ni sans effet sur le normage culturel des comportements, les bases philosophiques d’une programmation radicalement différente sont posées et il s’agit alors d’offrir aux auditeurs des musiques, des lectures, des images, des histoires agissant en cohérence avec l’engagement de la plus rebelle des radios. Mêlant les sons d’Ailleurs, les accords rebelles du rock, les discours revendicatifs du rap, les mélodies chaloupées du dub et du reggae, aux accents de sincérité de la chanson française. Les musiques croisent bien souvent les chemins de l’écriture avec ce que cette dernière apporte de rêve, d’évasion, mais aussi de révoltes et de témoignages.

Ainsi, que la rencontre se fasse autour d’un livre, de textes ou d’articles, il y est toujours question d’un engagement, celui de défendre une parole libre, avant tout et surtout, quand on cherche à la réduire au silence.

Attentifs à des évènements que nous soutenons, à des lieux que nous apprécions, à des praticiens de la liberté que nous aimons, nous avons plaisir à les retrouver dans leurs engagements fidèles. Partisans, nous avons aussi choisi d’accueillir ceux qui dénoncent le commerce des consciences, les nouvelles formes du colonialisme. Enfin, sans complexe, nous réussissons à parler d’arts plastiques, de photographie et de vidéo sans le support de l’image.

Ainsi la programmation de Traffic papillonne (au sens fouriériste) sur des idées, des pratiques, des doutes et des actions qui reposent toujours, il ne faut pas l’oublier, sur l’engagement de femmes et d’hommes qui ne se satisfont pas du monde tel qu’il est. Nous partageons cette envie de transformer ce monde et nous les soutenons, dès lors que nous défendons les mêmes valeurs.

Janvier 2024, Thierry nous a quittés

Le grand (par sa taille, son talent et sa générosité) Thierry Delavau vient de passer l’arme à gauche toute. On lui doit avec son complice Yves Lecarpentier un des labels les plus inventifs et originaux, V.I.S.A., grâce à qui ont émergé des groupes uniques comme Achgha Ney Wodey, Kni Crik, The Brigades, Mome Rath, Dazibao, Clair Obscur… Les rois des K7, Yves et Thierry, avaient édité La mythique cassette du concert des Bérus ou encore du génial Blurt. On les entend et on voit surtout beaucoup leur épatant travail visuel dans mon documentaire Une vie parallèle(s). Thierry D a aussi beaucoup donné de sa voix de basse sur Radio Libertaire, dont il a été un des piliers (comme me l’a rappelé à juste titre un autre passeur de musiques, Gilles Yéprémian). Créatif et surprenant jusqu’au bout, Thierry avait envoyé un mail (cf. plus bas) depuis sa chambre d’hôpital, proposant à des amis d’envoyer poèmes, dessins… pour égayer sa chambre. Gageons que là‐haut ou là‐bas, il prépare déjà une expo. De tout cœur avec ses proches.

Compilation Un peu, Beaucoup, Passionnément, À la folie !

Une des nombreuses réalisations du label V.I.S.A.

Décembre 1992 : la compilation V.I.S.A. voit le jour avec Zebrock. En 1992, Internet n’est qu’une promesse d’initiés et les réseaux sociaux, une éventualité que seuls des auteurs d’anticipation peuvent évoquer, vite taxés d’audacieux et de doux rêveurs — c’est ce qui fait leur charme, n’est‐ce‐pas. Mais la période est d’une grande vitalité. La scène indépendante ou underground est vivace et occupe avec créativité les espaces de liberté que l’industrie de l’entertainment est en train, patiemment mais férocement, de lui disputer. Revêche, contestataire, subversive et rieuse, elle affirme, un temps, son leadership à coup de D.I.Y. Qui dit scène Indé, dit squats comme Pali Kao ou Les Cascades à Paris, fanzines, dont le fameux Abus Dangereux, et labels. Il y en a plusieurs : Boucherie Productions, Crash Disques, Black & Noir… En tête, le plus authentique et pionnier, V.I.S.A, celui qui a diffusé les premières cassettes de Bérurier Noir. C’est dire. Indé, fureteuse, curieuse, l’équipe de V.I.S.A. caresse au début des années 90 un projet magnifique, fou et ambitieux. Une grande somme des groupes indés d’Europe, une façon sans doute d’inviter à une Europe qui soit autre chose qu’un Marché Unik. Disques, livrets voire concerts… le concept est démesuré, mais l’équipe de V.I.S.A. est taillée pour la démesure. Tout paraît prêt à paraître, quand patatras, le distributeur prévu, New Rose, éminente et historique maison de disque de Paris, connue dans le monde entier, fait faillite et est rachetée par Fnac Music. Autant dire l’ennemi pour nos indés. Au terme de discussions musicales passionnantes dont il ressort une concordance de vues sur la vie, le boulot et le reste, il est convenu que Zebrock avec le Conseil général de Seine Saint‐Denis, va aider le projet à aboutir. L’achat de plusieurs centaines de disques offerts aux lecteurs du fanzine Zebrock, fait la mise de fonds dont le label a besoin pour lancer le projet. Soutien discret mais solide : les quatre volumes de la compilation voient le jour. Un peu, Beaucoup, Énormément, À la folie marquent un jalon important dans l’affirmation d’une scène musicale inventive, multiple, vivace et coriace. Regardez bien les noms et fouillez : un pan décisif des musiques libres de cette époque se dévoile. Pour en savoir plus : NordWaves, le site de référence.

Publié le 14 mai 2020, par Edgard Garcia

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