Égalité, Fraternité, Crève !
Les directives préfectorales enjoignant à des Centres d'Hébergement d'Urgence de fermer leur porte aux sans-papiers ont suscité une large indignation. Si les lecteurs du Figaro se plaignent sur son site Internet que cette pratique ne soit pas généralisée, la gauche et les caritatifs vont jusqu'à s'insurger
: trier les pauvres serait une dérive républicaine.
Pourtant, personne n'échappe au tri : on est responsable ou tacheron, sans-papiers ou français, SDF ou au chaud. À l'intérieur de ces catégories, des sous-catégories : sous-fifre ou au bas de l'échelle, demandeur d'asile ou clandestin, vagabond avec ou sans papiers ; et pour chacun, plus ou moins de droits et de privilèges ou de devoirs et d'emmerdes.
Mais la Nation prend soin de ses citoyens, et puis on a quand même bon cœur : les équipements urbains sont étudiés pour empêcher le repos des clodos, mais on les héberge quand il fait trop froid - enfin, ça dépend : si, officiellement, on ne manque pas de places dans les centres d'urgence, la presse rapporte le cas d'un couple contraint d'abandonner ses enfants à l'Aide Sociale à l'Enfance pour ne pas qu'ils dorment avec eux dehors...
Patrick Declerck, en se faisant passer pour un clochard, s'est invité dans ces centres, qu'il décrit dans Les naufragés : en découvrant ce que sont ces lieux, on comprend pourquoi la plupart des hébergés
leur préfèrent le froid, même s'il peut être mortel. Il rappelle aussi que, si chaque année on semble redécouvrir que le froid tue (puisqu'on ne fait rien pour empêcher les causes de ces morts de produire à nouveau leurs effets), chaque année aussi on oublie que la rue tue autant en été qu'en hiver : le crime ne vient pas du froid, mais d'un système qui laisse des logements vides là où on crève sur les trottoirs.
Égalité
, qu'ils disent...
Les préfets ont fait leur boulot, puisqu'héberger, c'est recevoir chez soi : l'hébergement de sans-papiers, qui n'ont pas vocation
à vivre ici, contredirait les ordres d'expulsion - ordres qui sont exécutés avec zèle, puisque les objectifs ont été atteints, quitte à ce que certains se suicident en centre de rétention, ou à ce qu'ils meurent à coups de Taser, ou en sautant d'une fenêtre pour tenter d'échapper aux flics qui les pourchassent. C'est que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde
, n'est-ce pas. Mais attention ! Comme le dit un socialiste (en costard-cravate), il faut expulser humainement... C'est ce qu'en rhétorique on nomme oxymore
: la réunion de termes contradictoires, ou, autrement dit, quelque chose qui ne peut pas exister.
Il faut aussi que l'État utilise mieux son argent public : ça coûte cher, l'immigration choisie : 110 000 arrestations pour 50 000 rétentions et 25 000 expulsions, soit, estiment les sénateurs, dans les 200 millions d'euros par an pour faire tourner les centres de rétention, 40 millions d'euros de billets d'avion, de train ou de bateau (un éloignement forcé
implique de faire voyager les flics), des frais d'interpellation et de justice, environ 500 millions pour l'ensemble de la politique de gestion et de maîtrise des flux migratoires
; mais, rassurez-vous, nos représentants
se penchent sur la question : ils nous pondent des centaines de pages pour évaluer l'efficacité de la dépense
(Immigration - la gestion des centres de rétention administrative peut encore être améliorée, Rapport d'information n° 516
). Expulser plus en dépensant moins, voilà ce qui les préoccupe.
En 2012, l'enjeu des élections sera de taille pour les sans-papiers : selon le résultat, c'est humainement
ou pas qu'ils seront expulsés... Et on comptera à nouveau les cadavres de sans-abri l'hiver prochain.
Fraternité
, qu'ils disent... Traduisez lutte de classe
: une lutte à mort.