Réflexions sur le lycée autogéré de Paris

Rédigé par inconnu Aucun commentaire
Classé dans : Articles Mots clés : école

Le 15 octobre s’est déroulé au LAP une journée sur l’autogestion, organisée par le groupe Commune de Paris de la Fédération anarchiste. Le lieu n’ayant pas été choisi au hasard, retour donc sur cet établissement ayant fêté, l’été passé, ses 40 ans.

Au début dans les sous-sols du lycée François-Villon, aujourd’hui au 393 rue de Vaugirard, « Nourri de la lecture de praticiens et théoriciens de la pédagogie institutionnelle, de l’éducation nouvelle comme Jean Piaget, Alexander Neill ou Célestin Freinet ; tout autant inspiré de l’école parallèle de Marly et du lycée expérimental d’Oslo, le Lycée autogéré de Paris a ouvert ses portes en septembre 1982. »1

Le LAP a été créé en même temps que deux autres : à St Nazaire et à Oléron. Le LAP est un lycée public et donc gratuit. C’est important dans les principes d’un projet dont il ne faut pas oublier la dimension politique. Est-ce que cela a pour autant une véritable influence sur sa composition socioculturelle ? Certainement, oui ; durant « les entretiens élèves »2, le constat est évident que nombre d’entre eux n’auraient pas pu venir si le lycée était payant.

Mais à coup sûr ce n’est pas une condition suffisante pour faire venir des jeunes de milieux prolo car si l’on vient de la banlieue, il faut se payer les cartes de transport, faire le trajet, avoir la disponibilité pour les parents d’emmener le « lapien »3 à la gare. Et surtout, être informé de l’existence du LAP. Il est en effet plus facile pour le LAP de faire sa publicité dans Paris intra-muros qu’à l’extérieur. La gentrification s’occupe du reste.

Dans les ZEP, lorsque l’horizon indépassable est le bac dit « pro », le chômage ou le BTP, où la plupart des enfants sont issus de l’immigration, le décrochage est d’avantage considéré comme une fatalité. Les parents n’en ont pas moins l’espoir que leurs enfants puissent sortir de leur condition en faisant des études. En ce qui concerne les classes supérieures elles sont plus inquiètes du déclassement si leurs gamins ne raccrochent pas. Pour ça, la démarche de venir au LAP est plus risquée, plus incertaine. La prise de risque n’est pas la même, il sera toujours plus facile de trouver une autre alternative pour quelqu’un venant d’une classe supérieure. Pour faire parler de nous, cela passe aussi en grande partie par les milieux militants : des compagnons et compagnes de l’éducation nous rencontrent dans les manifs puis en parlent dans leurs collège et lycées aux élèves en décrochage scolaire, que le LAP pourrait aider.

En 40 ans, il n’est pas rare non plus que le lycée autogéré de Paris accueille des enfants d’anciens lapiens, ou de parents qui auraient voulu venir au LAP ou le connaître plus tôt mais n’ont pas pu.

Au bout du compte, si les (plus ou moins) 280 personnes que nous accueillons restent tout de même un public assez varié, c’est que le lycée autogéré de Paris est désectorisé et ne représente donc pas le quartier dans lequel il est situé.

Peu de ceux que nous accueillons ont déjà entendu parler autogestion. Mais si une chose est sûre, c’est que la plupart des élèves accueillis au LAP étaient en rupture scolaire dans le traditionnel, à cause justement des hiérarchies, de l’autorité, des cours imposés, de la condescendance et du dédain des profs. En réponse à cela, que proposer d’autre que l’autogestion ?

Mais si l’autogestion est la seule chose que l’on peut proposer, elle n’est pas choisie.
Ceux qui viennent ici, viennent en réalité chercher un lieu dont le fonctionnement n’est pas autoritaire.

Les deux sont pourtant censés faire bon ménage, même si je pense qu’un projet libertaire est bien plus qu’un fonctionnement anti-autoritaire et autogestionnaire. — Il n’est pas question, par exemple, de simplement autogérer des structures capitalistes, ou de conserver une organisation si importante qu’elle finirait à ressembler à l’état. — Ceux qui rejoignent le LAP ne viennent donc pas chercher l’autogestion et ne joignent pas non plus les deux ensembles. Une partie des élèves ont le réflexe de voir les professeurs comme leurs chefs puisque c’est plus « raisonnable » et plus simple que de prendre en charge la gestion du lycée. Et il faut avouer qu’un fonctionnement égalitaire, au niveau des corvées n’a rien de très attrayant. Chez certains profs, on retrouve le même problème ; beaucoup viennent dans l’idée de donner des cours alternatifs, sans avoir à exercer de pression sur les élèves, mais sans trop se demander en quoi consiste l’autogestion. Ils cherchent à rester dans les clous, ne pas se montrer trop politique, encore moins libertaire.

Mais si ces rapports d’autorité existent, ils sont bien moindres que ce qu’on pourrait imaginer. Non, les relations qui s’établissent au LAP entre profs et élèves sont bien différents de celles en vigueur dans les lycées traditionnels. grace aux discussions que l’on peut avoir avec les enseignants d’égal à égal, grâce aussi au « tutorat ».

Il y a comme un effet de contrebalance pour tous ceux qui venant du traditionnel, en ont assez des emplois du temps chargés, rythmés par des cours qu’ils n’ont pas choisi. Quand s’offre enfin la possibilité de ne plus venir en cours — personne n’est obligé d’assister aux cours au LAP — beaucoup n’y remettent plus les pieds. Au début, bien évidemment, c’est frustrant d’apprendre ça, surtout quand on s’investit beaucoup dans le projet…

En réalité, c’est normal, logique même et tant mieux ! Beaucoup ont besoin de temps pour déconner dans le jardin, pour leurs activités ou réfléchir à ce qu’ils veulent faire. (On pourra trouver que c’est une curieuse nécessité que de glandouiller toute la journée au fond d’un jardinet fleuri. Pourquoi ce ne serait pas nécessaire pour certains ?)

Alors qu’aussi loin que nos souvenirs remontent, la vie est rythmée par le travail ; des enfants levés tôt le matin pour que leurs parents aillent faire tourner la machine, aux devoirs interminables des cours préparatoires — préparatoire à quoi ? À des travaux qui n’en seront que d’autant plus aliénants.

La religiosité est la seule excuse foireuse capable de nous faire accepter n’importe quelle souffrance. Celle du travail en est une. Je ne vois pas sinon, quel raisonnement peut mener à penser qu’utiliser tout son temps en révisions pénibles et ennuyantes relève plus du besoin que de vaquer à ses occupations, voir ne rien faire. (Évidemment, la deuxième solution n’apporte en elle-même pas grand-chose. Mais comme je disais plus haut, c’est un effet de contre balancier par rapport à un lycée traditionnel et il est nécessaire pour ensuite trouver un centre d’intérêt. C’est parce que la scolarité est rythmée par le travail que l’on s’empresse de choisir son orientation et, au plus vite, de se spécialiser. L’école n’est là que pour préparer au travail, tant dans sa gestion du temps que dans les programmes, les cours qu’elle dispense ne sont pas censés y trouver d’autres utilités.

Certains, après n’être presque pas venus au lycée de l’année se mettent à venir à quelques cours l’année d’après. D’autres n’iront pas en cours, ne feront rien les premiers mois, puis commenceront à trouver un centre d’intérêt. C’est à ce moment-là que les profs essaieront de les pousser à continuer dans cette voie. Par l’intermédiaire du matériel mis en libre disposition (salles d’art plastique, d’informatique libre, de musique…) Par le « projet » (les 4 heures de l’après-midi du jeudi sont consacrées à la réalisation de projets que tout le monde peut proposer — voyages, expositions, spectacles, émissions de radio…)

C’est pour cette même raison que l’orientation donnée en 3ème n’est pas prise en compte au LAP Alors que dans les lycées traditionnels tout ce qui ne rentre pas dans le cadre de l’école ne l’intéresse pas.

Parce que l’institution école considère que tout ce que font ses étudiants en dehors de ses murs est forcément sans intérêt ; Alors elle devient intrusive dans la vie des individus : Devoirs, cours du soir, étude, heures de colle.

À un ouvrier, il serait impensable de laisser quelques 200 écrous à boulonner et une vingtaine de portières de voitures à installer en rentrant chez lui. Il serait impensable aussi de l’empêcher de sortir de l’usine après ses heures de travail à la moindre erreur.

La réponse que l’on m’avait donnée, un jour où je faisais comprendre que « L’école ; je n’avais pas que ça à foutre ! » était assez explicite : « Tant que tu devras aller à l’école, il faudra que tu penses que la seule chose qu’il doit y avoir dans ta vie ; c’est le travail… Le travail, le travail. »

C’est le cas d’un ancien lapien qui a été aidé par des profs du LAP à rédiger des articles, les publiant même sur le site du lycée. Le conseil d’orientation de son ancien lycée lui avait pourtant conseillé la chaudronnerie — façon peu dissimulée de se débarrasser de lui, du fait qu’il était en rupture scolaire ; rien ne doit avoir d’importance que ce qu’il se passe à l’école. Si on se réalise ailleurs, l’école fera tout pour nous casser, elle doit être au centre de tout. Comme la religion. L’école et ensuite le travail.

Alors, quel intérêt de s’intéresser aux pourcentages de réussite au bac dans un des seuls lycées qui laisse la possibilité de faire autre chose, de ne pas le passer, où beaucoup de ses étudiants ne viennent pas pour ça4, ou le passeront plus tard.

Les statistiques d’écoles classiques dont le seul but est le formatage au bac, ne peuvent pas s’appliquer à une expérience qui doit être elle-même critique de l’évaluation. L’école classique nous impose une réalité par le prisme des programmes et des matières et nous empêche de penser par nous-même. Là est le principal problème qu’il y a à rester dans une structure d’état en tant que lycée autogéré : cela nous empêche d’approfondir la critique de l’école elle-même et des matières qui cloisonnent et rendent abstrait des sujets intéressants.

Natacha Langumier, Groupe libertaire d’Ivry

À voir :

  • Collectif d’élèves et de professeurs, Une fabrique de libertés. Le lycée autogéré de Paris, éditions repas
  • https://L-A-P.org
  • LAP ! Un roman d’apprentissage, Aurélia Aurita (bande dessinée)
  • Écrit dans la marge (reportage sur le lycée expérimental de St Nazaire)

Notes :

  1. Collectif d’élèves et de professeurs, Une fabrique de libertés. Le lycée autogéré de Paris, éditions repas
  2. Lors de l’inscription au Lap,les futurs élèves passent un entretien devant deux élèves et un prof pour parler des raisons qui leur ont donné envie de venir, et expliquer plus en détail le fonctionnement du Lap.
  3. Nom donné aux élèves et professeurs du Lap.
  4. « alternatibac » est même un groupe ayant été créé pour ceux que le passage du bac n’intéresse pas. Disposant d’autres activitées.

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