Malatesta : anarchie, socialisme et communisme
C'est un fait qu'entre les socialistes et les anarchistes, il y a toujours eu une différence profonde sur la façon de concevoir l'évolution historique et les crises révolutionnaires que cette même évolution produit. Ils ne se sont donc pratiquement jamais trouvés d'accord sur les moyens à employer pour accélérer la marche vers l'émancipation de l'homme, ni sur les occasions de le faire qui se sont parfois présentées.
Mais ce n'est là qu'une divergence contingente et secondaire. Il y a toujours eu et il y a des socialistes qui sont pressés, comme il y a toujours eu et comme il y a des anarchistes qui veulent y aller prudemment et ne croient peut-être même pas tout à fait à la révolution. La divergence essentielle et fondamentale est ailleurs : les socialistes sont des autoritaires, les anarchistes sont des libertaires.
Les socialistes veulent aller au pouvoir, pacifiquement ou par la violence, peu importe. Et, installés au gouvernement, ils veulent imposer leur programme aux masses, sous une forme dictatoriale ou sous une forme démocratique. Les anarchistes estiment, au contraire, que le gouvernement ne peut être que pernicieux et que, de par sa nature même, il ne peut que défendre une classe privilégiée existante ou en créer une nouvelle. Et au lieu d'aspirer à s'installer à la place des gouvernants du jour, ils veulent abattre tous les organismes qui permettent à certains d'imposer aux autres leurs propres idées et leurs propres intérêts. En donnant à chacun la pleine liberté et, bien sûr, les moyens économiques qui rendent cette liberté possible et effective, ils veulent ouvrir et rendre libre la voie de l'évolution vers les meilleures formes de vie en commun qui naîtront de l'expérience.
Après ce qui s'est passé et se passe encore en Russie, il semble impossible qu'il y ait encore des gens pour croire que la différence entre les socialistes et les anarchistes consiste seulement à vouloir faire la révolution lentement ou rapidement.
Umanità Nova, 3 septembre 1921