L'idée révolutionnaire
Il est certain que, dans l'état actuel de la société, où la grande majorité des hommes, écrasée par la misère et abrutie par la superstition, gît dans l'abjection, les destinées humaines dépendent de l'action d'un nombre relativement peu considérable d'individus. Il ne pourra certainement pas se faire que, d'un moment à l'autre, tous les hommes s'élèvent au point de sentir le devoir, et même le plaisir d'accomplir tous leurs actes de manière à ce qu'il n'en résulte, pour autrui, que le plus grand bien possible. Mais si les forces pensantes et dirigeantes de l'humanité sont aujourd'hui peu considérables, ce n'est pas une raison pour en paralyser encore une partie et pour en soumettre beaucoup à quelques-unes d'entre elles ; ce n'est pas une raison pour constituer la société de telle manière que, grâce à l'inertie que produisent les positions assurées, grâce à l'hérédité, aux protections, à l'esprit de corps et à toute la mécanique gouvernementale, les forces les plus vives et les capacités les plus réelles finissent par se trouver hors du gouvernement et presque privées d'influence sur la vie sociale. Et ceux qui parviennent au gouvernement, en se trouvant déplacés de leur milieu et, avant tout, intéressés à rester au pouvoir, perdent toute puissance d'action et servent seulement d'obstacle aux autres.

