Il y a des années que l'on discute beaucoup parmi les anarchistes de cette question ; et, comme il arrive lorsqu'on discute passionnément à la recherche de la vérité, on se pique ensuite d'avoir raison. Lorsque les discussions théoriques ne sont que des tentatives pour justifier une conduite inspirée par d'autres motifs, il se produit une grande confusion d'idées et de mots.
Rappelons au passage, surtout pour nous en débarrasser, les simples questions de mots, qui ont parfois atteint les sommets du ridicule, comme, par exemple : nous ne voulons pas l'organisation mais l'harmonisation, nous sommes opposés à l'association mais nous admettons l'entente, nous ne voulons pas de secrétaire ou de trésorier, parce que c'est un signe d'autoritarisme, mais nous chargeons un camarade de s'occuper du courrier et un autre de l'argent ; et passons à la discussion sérieuse. Il y a parmi ceux qui se disent anarchistes deux fractions : les partisans et les adversaires de l'organisation. Si nous ne pouvons nous mettre d'accord, tâchons au moins de nous comprendre.
Et avant tout, distinguons, puisque la question est triple :
- l'organisation en général, comme principe et condition de la vie sociale, aujourd'hui et dans la société future ;
- l'organisation du parti anarchiste ;
- l'organisation des forces populaires et, en particulier, celle des masses ouvrières, pour résister au gouvernement et au capitalisme.
Et comment procéder à cette révolution que nous voyons se préparer lentement dans la société et dont nous aidons l'avènement par tous nos efforts ? Est-ce en nous groupant par corps subordonnés les uns aux autres ? Est-ce en nous constituant comme le monde bourgeois que nous combattons en un ensemble hiérarchique, ayant ses maîtres responsables et ses inférieurs irresponsables, tenus comme des instruments dans la main d'un chef ? Commencerons-nous par abdiquer pour devenir libres ? Non, car nous sommes des anarchistes, c'est-à-dire des hommes qui veulent garder la pleine responsabilité de leurs actes, qui agissent en vertu de leurs droits et de leurs devoirs personnels, qui donnent à un être son développement naturel, qui n'ont personne pour maître et ne sont les maîtres de personne.
Nous avons commencé à débrayer quand le bruit du mouvement est parvenu jusqu'à nous. Tout d'abord nous n'avons pas bien saisi. Contre quoi se battaient les étudiants ? Nous ne le savions pas. Mais ils se battaient contre... quelque chose et ça nous plaisait bien.
Il est compréhensible que, de la différenciation radicale dont nous venons de constater la persistance entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise, découle une moralité distincte.
Il serait, en effet, pour le moins étrange qu’il n’y ait rien de commun entre un prolétaire et un capitaliste, sauf la morale.
Quoi ! Les faits et gestes d’un exploité devraient être appréciés et jugés avec le critérium de son ennemi de classe ?
Ce serait simplement absurde !
La vérité, c’est que, de même qu’il y a deux classes dans la société, il y a aussi deux morales, celle des capitalistes et celle des prolétaires.
Dans l’exposé historique qui précède, nous venons de constater que le sabotage, sous l’expression anglaise de Go Canny, découle de la conception capitaliste que le travail humain est une marchandise.
Cette thèse, les économistes bourgeois s’accordent à la soutenir. Ils sont unanimes à déclarer qu’il y a un marché du travail, comme il y a un marché du blé, de la viande, du poisson ou de la volaille.
Ceci admis, il est donc logique que les capitalistes se comportent à l’égard de la « chair à travail » qu’ils trouvent sur le marché comme lorsqu’il s’agit pour eux d’acheter des marchandises ou des matières premières : c’est‐à‐dire qu’ils s’efforcent de l’obtenir au taux le plus réduit.